Coeur de démon 1
Lire la première nouvelle de la Trilogie Perle d'Ambre : "Sortie d'une rêve"
La jeune fille se libéra enfin de son étreinte mortelle et courut dans la direction opposée. Des larmes de cristal perlaient au coin de ses yeux. Comment avait-il pu la tromper à ce point ? Elle n'entendait que le bruit de sa course dans les feuilles mortes : il ne semblait pas l'avoir suivie. Peu importait. Tout ce qu'elle souhaitait désormais était mettre le plus de distance possible entre elle et lui. Puis, au bout d'un temps interminable, elle s'effondra sur le sol et pleura toutes les larmes de son corps.
Ce n'était pas la première fois que ce genre de chose arrivait. Moëlys était un démon puissant qui se délectait de la détresse de ses victimes. Il ne voulait pas les dévorer tout de suite, et préférait les plonger d'abord dans le désespoir. Il s'approcha sans bruit de la silhouette en pleurs et passa une main dans ses cheveux. Elle sursauta. Ses yeux empreints de frayeur se levèrent vers lui. Il sourit.
- shhh... dit-il doucement, tu es si belle, tu ne mérites pas de telles choses, n'est-ce pas ?
La jeune fille se sentit rassurée. Il était redevenu l'homme plein de gentillesse qu'elle aimait. Ce n’était qu’un malentendu. Oui, ça ne pouvait être que ça. Elle se jeta dans ses bras et se mis à sangloter. Moëlys la cajola et murmura tendrement :
- Mais, tu comprends, j'en ai assez de jouer avec toi... Et le sang qui palpite dans ta gorge me fait tellement envie...
Elle sursauta de nouveau et le démon sentit avec délice son corps se raidir dans ses bras. Il la tenait fermement maintenant, de sorte qu'elle ne puisse plus s'échapper. C'était le moment qu'il préférait.
- M... Mais... pourquoi ? sanglota la pauvre jeune fille.
- Parce que je t'aime, ma belle, dit-il doucement avec un sourire qui découvrit ses canines.
Il l'avait embrassée tant et tant de fois, et pourtant la jeune fille n'avait jamais remarqué à quel point elles étaient aiguisées. Elle frémit à cette pensée et le sourire de Moëlys s'élargit.
- C'est bien, ma jolie, dit-il tendrement, tu as enfin réussi à comprendre qu'il ne servait à rien de te débattre.
Il desserra son étreinte et passa une main dans la chevelure dorée de sa victime.
- Tu es si belle quand tu as peur...
Redescendant le long de ses cheveux, la main du démon atteignit son cou pour venir serrer sa gorge. Elle émit un petit cri entrecoupé de sanglots.
- shhh... ça va aller...
Il serra un peu plus fort pour bien sentir le sang brûlant palpiter dans ses veines. Il s'approcha pour l'embrasser une dernière fois. Elle pleurait. Elle n'était déjà plus qu'une poupée de chiffon entre ses mains. Il la serra de nouveau contre lui.
- Je t'aime... murmura-t-il avec un sourire.
Elle pleura plus fort et s'écria :
- Moi aussi, je t'aime ! Je voudrais tant pouvoir être à toi pour toujours !
- Tu l'es.
Et il la serra plus fort, encore plus fort, de plus en plus fort... Elle commença à se débattre mais il serra encore et encore. Et plus elle se débattait, plus il souriait. Finalement, il sentit avec délectation les os de la jeune fille craquer sous son étreinte. Il serra encore un peu et la laissa s'effondrer, inerte, sur le sol. Il jeta sur cette masse de chair un regard satisfait, puis il s'accroupit à coté d'elle. Ses larmes avaient gelé en un cristal lumineux. Moëlys s'en empara et le considéra un instant. Puis, il l'enfouit dans une poche de sa veste et reporta son intérêt sur le corps étendu là. Il passa de nouveau la main sur la gorge chaude, et la fit redescendre en direction de la poitrine. Ses ongles s'allongeaient de façon grotesque et un filet de sang jaillit. Moëlys porta une goutte à sa bouche. Un délice ! Il avait hâte de goûter le reste. Alors, enfonçant ses mains au milieu de la cage thoracique de sa victime, il déchira sa poitrine et en sortit le cœur brûlant.
Il commencerait par là. Ensuite, il ramènerait la dépouille dans son repaire, et prendrait tout son temps pour la dévorer, en commençant par les organes internes.
Il procédait toujours ainsi. Il aimait savourer ses victimes, aussi les choisissait-il avec le plus grand soin. Son choix se portait, en général, sur de belles jeunes femmes qu'il prenait le temps de séduire jusqu'à ce qu'elles soient folles d'amour pour lui. Ainsi, il pouvait les plonger dans la détresse avant de les dévorer. Il n'était pas comme tous ces démons inférieurs qui se repaissent des êtres les plus lâches et les plus infâmes. Chacun de ses repas était un festin, et il ne se nourrissait que des êtres les plus purs.
C'était ainsi qu'il concevait son enfer, chaque jour. L'enfer ne vaut d'être vécu que si l'on est un démon puissant. Si l'on jouit de tous les plaisirs dont on peut rêver, de tous les vices... Là on est un démon accompli. Plus grande est la souffrance, plus grand est le délice, et plus somptueux est le festin.
Moëlys errait sur terre en quête d'une âme perdue à dévorer. Une âme naïve, pure et douce qu'il pourrait plonger dans la détresse. Il parcourait mers et monts, bourgs et villages, entrepôts et cathédrales... Il cherchait l'âme la plus somptueuse, plus belle encore que la blonde vierge qu'il venait de dévorer longuement.
Son ombre passait sournoisement parmi les humains. Ses crocs acérés flairant toute trace, il arpentait les ruelles, silhouette parmi les silhouettes. Nul ne le voyait. Il n'était qu'une personne de plus dans cette nuée de manteaux gris.
Puis, au détour d'une fenêtre, il la vit. C'était une belle endormie à la chevelure brune et bouclée. Son souffle serein soulevait gracieusement sa poitrine tandis que, derrière ses paupières clauses, on devinait les vols d'oiseaux et les prairies baignées de soleil qu'elle voyait en rêve. Tant de pureté ne pouvait être possible en un seul visage. Moëlys s'approcha du carreau et contempla la jeune fille. Il en avait déjà l'eau à la bouche. Délicatement, il souleva la guillotine et s'introduisit comme une ombre dans la chambre de la belle au bois dormant.